Introduction :
Au début des années quatre-vingt, une nouvelle génération de modèle d'analyse stratégique est apparue : l'Ecole de Michael Porter.
L'Ecole adopte une approche macro-économique du problème de l'entreprise.
Au lieu de se polariser sur l'entreprise comme point central de l'analyse, il considère le système concurrentiel tout entier. L'observation principale de M. Porter a trait au fait que les entreprises qui réussissent sont non seulement performantes sur leur secteur, mais qu'elles savent choisir leur secteur industriel.
Cela constitue une grande nouveauté par rapport au modèle classique. La réussite stratégique implique d'une part, que l'activité de l'entreprise s'exerce sur une industrie qui structurellement autorise la création de rentabilité élevée, et que d'autre part, l'entreprise soit performante sur son secteur d'activité.
L'Ecole de M. Porter est aussi étroitement liée à des concepts novateurs :
. C'est d'abord l'analyse de la structure de l'industrie qui a renouvelé la théorie concurrentielle en intégrant l'ensemble des forces concurrentielles : l'intensité concurrentielle interne, la pression des fournisseurs, la pression des clients, la pression des produits de substitution, les nouveaux intrant. M. Porter parle de " rivalité élargie " ;
. C'est ensuite la célèbre courbe en u, montrant que la rentabilité sur un secteur n'est pas seulement le résultat de l'effet de volume, mais suit une courbe de profitabilité d'abord descendance puis ascendante.
. Le concept de chaïne de valeur est aussi un apport fort utile. la chaïne de valeur permet de décomposer les différentes opérations réalisées par l'entreprise dans une industrie donnée pour connaïtre les compétences spécifiques à chacun des maillons.
. Enfin, le concept de déterminant nationaux de l'avantage concurrentiel explique les facteurs déterminant la réussite d'une entreprise dans la compétition mondiale.
A. LE CADRE DE LA DEMARCHE STRATEGIQUE
Pour M. Porter le cadre fondamental de la démarche de la stratégie est l'industrie. Par industrie, on entend un ensemble d'entreprises - produisant des biens ou des services- directement concurrent sur le marché.
Sur le plan stratégique, une industrie se distingue des autres par le fait qu'elle propose un ensemble de produits qui ont des sources d'avantage concurrentiel similaires.
Au travers de sa stratégie, l'entreprise doit définir et élaborer une approche de son industrie qui soit à la fois rentable et durablement défendable.
Une stratégie ne peut aboutir que si elle est spécifiquement conçue pour telle ou telle industrie, délimitée et fondée sur les compétences et les moyens réels de l'entreprise.
A la base de toute stratégie il y a deux éléments :
1. la structure de l'industrie où évolue l'entreprise ; la nature de la compétition économique varie beaucoup d'une industrie à l'autre et toutes les industries n'offrent pas les mêmes perspectives de rentabilité à long terme ;
2. le positionnement de l'entreprise au sein de l'industrie considérée : certain positionnement sont plus avantageux que d'autres, quel que soit le niveau moyen de rentabilité de l'industrie en question.
B. Analyse structurelle de l'industrie
Une stratégie concurrentielle doit s'appuyer sur une analyse en profondeur de la structure de l'industrie et de son évolution. Dans toute industrie, le jeu concurrentiel résulte de cinq forces :
1. la rivalité entre les firmes du secteur ;
2. le pouvoir de négociation des fournisseurs ;
3. le pouvoir de négociation des clients ;
4. la menace des nouveaux entrants ;
5. la menace des produits de substitution.
Le jeu combiné de ces cinq forces varie d'une industrie à l'autre et détermine la rentabilité à long terme. Quand ces cinq forces jouent dans un sens favorable, un grand nombre d'entreprises vont avoir un retour sur investissement intéressant. A l'inverse, c'est seulement un petit nombre qui assureront une bonne rentabilité d'une industrie parce qu'elles influent sur :
. les prix praticables par les firmes ;
. les couts qu'elles ont à supporter ;
. les investissements qu'elles ont à réaliser pour être compétitifs.
C. LES FORCES QUI COMMANDENT LA CONCURRENCE AU SEIN D'UN SECTEUR
Les cinq forces concurrentielles reflètent le fait qu'au sein d'un secteur, la concurrence va au-delà des firmes qui y sont installée. Les clients les fournisseurs, les producteurs de produits de remplacement et les entrant potentiels sont tous, selon l'expression de Porter, des " concurrents " des firmes du secteur, et peuvent avoir un rôle plus ou moins prédominant.
Les cinq forces concurrentielles déterminent à la fois l'intensité de la concurrence et rentabilité dans un secteur. Du point de vue de la formulation d'une stratégie, les forces qui jouent le plus prennent une importance cruciale.
1. Intensité de la rivalité entre les concurrents
la rivalité entre les concurrents existants s'exprime par des tactiques fondées sur la concurrence par les prix, sur l'introduction de nouveaux produits, sur l'amélioration des services ou des garanties consenties à la clientèle, sur des batailles publicitaires.
La rivalité se manifeste lorsqu'une ou plusieurs firmes désirent accroïtre leurs part de marché ou en voient la possibilité.
L'intensité de la rivalité résulte de l'interaction de facteurs structurels :
. l'existence de concurrents nombreux ou également équilibrés peut faire apparaïtre une rivalité suite à une attaque d'un concurrent. Au contraire, dans les secteurs fortement concentrés, une sorte d'entente peut être instaurée allant jusqu'à une coordination interne, par exemple fixation d'un prix directeur ;
. un ralentissement de la croissance transforme la concurrence en un jeu de partage du marché pour les entreprises en quête d'expansion ou désireuses de maintenir leur part de marché ;
. une structure de couts fixes élevés poussent les entreprises qui cherchent à étaler leurs couts sur un volume important, à mener une politique de réduction des prix. C'est la situation de nombreux produits de base ;
. l'absence de différenciation des produits peut entraïner des pressions favorables à une concurrence par les prix et par qualité des services offerts ;
. des augmentations de capacité importantes, parfois imposées par les économies d'échelle, peuvent périodiquement rompre l'équilibre entre l'offre et la demande, entraïner des surcapacités et par conséquent une baisse des prix ;
. des concurrents divers ayant objectifs et des stratégies différentes peuvent entrer en rivalité parce qu'incapables de se mettre d'accord sur les règles du jeu au sein d'un secteur. Il en est des secteurs où existent de nombreuses PME-PMI qui peuvent se satisfaire d'un taux de rendement du capital inférieur à la normal, alors que de tels rendements peuvent paraïtre irrationnels pour la grande firme. il en est de même des secteurs où existent des firmes qui considèrent le marché comme un débouché pour une capacité excédentaire et qui peuvent être tentées par des pratiques de dumping ;
. l'existence d'obstacles élevés à la sortie (actifs spécialisés, couts fixes à la sortie, restrictions gouvernementales) peut amener les firmes à se maintenir sur un secteur, même lorsqu'elles obtiennent des rendements faibles sur l'investissement. Dans ce cas des capacités excédentaires demeurent, entraïnant des baisses des prix.
2. Pouvoir de négociation des clients
Les clients luttent dans le secteur en essayant d'imposer des baisses de prix, en négociant de meilleurs conditions, et en faisant jouer la concurrence. Ces actions s'exercent aux dépens de la rentabilité.
Le pouvoir que peuvent exercer les clients dépend de leur situation sur le marché et de l'importance relative des achats qu'ils effectuent. Les conditions suivantes prévalent généralement :
. concentration des acheteurs et volume d'achat important par rapport au cas du vendeur ;
. part importante du cout des achats ;
. normalisation des produits achetés (ou produits indifférenciés) ;
. faiblesse des profits des clients ;
. menaces crédibles d'intégration des clients ;
. disponibilité de l'information sur le marché.
L'importance du pouvoir de négociation des clients fait que le choix des groupes de consommateurs auxquels on va vendre devient une décision stratégique fondamentale pour une firme. Une sélection permet à la firme de trouver des clients qui sont moins en mesure d'exercer sur elle des effets défavorables.
3. Pouvoir de négociation des fournisseurs
Les fournisseurs peuvent disposer d'un pouvoir de négociation à l'égard des firmes d'un secteur, par exemple en menaçant d'augmenter leurs prix. Ils ont de ce fait la possibilité de comprimer la rentabilité d'un secteur, si ce dernier est incapable de répercuter dans ses prix les hausses de cout.
Les conditions qui assurent le pouvoir des fournisseurs reflètent celles qui garantissent celui des clients.
4. Menace des nouveaux entrants
Les nouveaux entrants dans un secteur apportent avec eux de nouvelles capacités et surtout le désir de conquérir une part de marché. Ils apportent aussi des ressources substantielles. Il peut en résulter une baisse des prix de l'offre ou une hausse des couts des entreprises en place qui sont obligées de consentir des dépenses pour maintenir leur part du marché. Ce qui réduit la rentabilité.
La menace de nouveaux entrants dépend des obstacles à l'entrée de la réaction des firmes en place.
Plusieurs facteurs peuvent constituer des obstacles à l'entrée :
. les économies d'échelle liées à la taille des unités de production ;
. la différenciation du produit, qui provient de l'image de marque de la firme bien établie ;
. les besoins des capitaux liés aux investissements à consentir pour entrer dans un nouveau secteur ;
. l'accès aux circuits de distribution, passage obligé pour le nouvel entrant, pour toucher la clientèle ;
. l'existence d'avantage de couts que ne peut reproduire l'entrant potentiel, comme la propriété de la technologie du produit, l'accès aux MP en emplacement favorable, des subventions publiques, etc.
. la politique gouvernementale qui peut limiter l'entrée dans certains secteurs.
L'attente d'une riposte des firmes en place peut dissuader les entrants potentiels. La riposte peut consister en une baisse des prix de l'offre rendant la rentabilité du secteur peu attrayante. La condition d'une entrée dans un secteur tient au prix dissuasif à l'entrée, c'est-à-dire à la structure des prix existants.
5. La menace des produits de substitution
Les produits de substitution ne font pas partie du marché, mais représentent une alternative à l'offre. Il peut s'agir de produits différents répondant à un même besoin (ex : téléchargement MP3 / Disque compacts), soit de produits influant sur la demande (véhicules électriques / carburants fossiles). Les produits de substitution sont caractérisés par une élasticité croisée qui est positive. Dans les faits, l'augmentation du prix d'un bien provoque en conséquence l'augmentation de la quantité vendue de l'autre.
D. Le rôle des pouvoirs publics
Bien que les pouvoirs publics (état, Commission Européenne, collectivités locales, etc.) ne figure pas explicitement dans le modèle proposé par M. Porter, son influence est prise en compte et peut affecter chacune des cinq forces. La politique et la législation mises en ouvre conditionnent en effet la manière dont chacune des forces s'exerce sur le marché. Par exemple, l'entrée sur le marché peut être soumise à un agrément ou à l'inverse être l'objet de subventions. Cet outil d'analyse est tout de même critiquable
E. Utilisation concrète du modèle des cinq forces en entreprise
L'objectif de ce modèle est d'identifier les facteurs clés de succès de l'environnement, c'est-à-dire les éléments stratégiques qu'il convient de maïtriser afin d'obtenir un avantage concurrentiel. Pour cela, il est nécessaire de hiérarchiser les 5 forces, afin de déterminer quelles actions stratégiques doivent être menées en priorité.
CONCLUSION : les critiques du modèle des cinq forces
Le modèle des cinq forces est l'outil fondamental de l'analyse de l'environnement en stratégie. Il est cependant critiquable pour plusieurs raisons:
- Il est fondé sur une rhétorique de l'affrontement (forces, pouvoir, etc.) qui se focalise plus sur les menaces que sur les opportunités et ne laisse que peu de place aux stratégies de collaboration.
- Il sous-entend que la stratégie consiste essentiellement à s'adapter aux conditions de l'environnement, ce qui exclut les approches fondées sur les ressources et compétences, qui privilégient une vision endogène du succès.
- Il peut être complété : certains auteurs (notamment en Europe continentale) ajoutent une sixième force, l'influence des pouvoirs publics. On parle alors de modèle des 5(+1) forces. Porter lui-même a ajouté dans des écrits plus récents le rôle des compléments (par exemple les éditeurs de logiciels pour l'industrie du micro-ordinateur).
- Chaque cas d'entreprise est spécifique. Il est nécessaire d'intégrer à l'application en entreprise du modèle des 5 forces une hiérarchisation par ordre d'importance selon le métier de l'entreprise.
Extrait du Livre : introduction au management agroindustriel dans les économies en transition (le cas du Maghreb). Auteur : Professeur ZOUBIR SAHLI, M. KACI, J. RASTON, H. SAID-OUAMEUR.